Une paire de gants gris perle soutient ce film à la couleur de drame. Ce sont ceux que Cate Blanchett oublie dans un grand magasin, ceux avec lesquels elle conduira sa voiture en presque cavale, vers l'ouest. C'est l'étui velouté de ses mains caressantes enfin, dans un attendu qui se montre à peine. C'est une histoire toute en douceur, en toucher.
C'est un film de toucher.
C'est ainsi que sa main sur l'épaule de celle qu'elle aime est un toucher visible, à la différence des patauds d'hommes qui ne font que violenter la douceur de Rooney Mara (sublime et prix d'interprétation à Cannes). Son personnage, Thérèse, avoue ne pas savoir dire non aux hommes, et donc à la société masculine. Elle ne résiste cependant pas au charme de Carol, dont l'élégance new yorkaise emporte tout sur son passage. Les conventions, le mariage, la fibre maternelle. Elle est touchée et de toucher, assumant la très progressive séduction entre les deux héroïnes. Tout en douceur, touchante dans sa progression. Conduisant voiture et vie de la même manière, en road movie bien plus tenu qu'une Thelma et Louise.
C'est un road movie.
C'est en effet un road movie sentimental, où la fuite de New York prend le sens d'une aventure de libération de l'urbain, qu'elles boivent littéralement, en cocktail Manhattan. Les arrêts en motel sont autant de points de suspension d'une route sans fin. Et lorsque le retour sonne, que la séparation devient angoisse, on pense à un non retour sur ce one way road qu'est la vie. Mais il n'en est rien, la vie n'est pas un enfer de regrets, et Carol avance d'un large pas en renonçant à sa fille, à sa réputation, à un divorce arrangé. Elle préfère assumer à New York les élans de son coeur, et devient libérée. Elle l'exprime comme un nouveau départ, mais sur place cette fois, en proposant de partager son appartement. Un garage pour âmes en fuite. Droit dans les yeux.
C'est un film de regards.
Dès la première rencontre dans le magasin, Thérèse et son regard d'Audrey Hepburn se fixent sur Carol navigant dans les rayons. Elle voit un soleil. Bien en face. Derrière son comptoir comme à l'arrière de sa vie, attirée par une femme qu'elle prendra en photo. Elle la laisse prendre les initiatives, fascinée par une femme plus mûre et peut-être prédatrice (notez la présence fréquente de l'ex amante de Carol). Elle la regarde sans cesse : quand elle conduit, quand elle fume, quand elle dort.
Thérèse prendra de splendides photos du sommeil de Carol.
C'est un film sur une passion révélée.
Autant que le révélateur de la chambre noire, toute rencontre entre les deux héroïnes est marquée par la progression de l'amour qui se développe. A l'image des photos, qui est le métier de Thérèse, l'image fixe et transmet le souvenir de l'attitude de Carol dans tout moment. La première photo, près du vendeur de sapins de Noël, montre un mouvement dans ce long manteau de fourrure qui ne la quitte pas. C'est un indice de ce qui la recouvre, de ce qu'elle cache, alors que Thérèse boit littéralement ses paroles, faits et gestes. Elle est captivée, et même capturée, par une passion dont elle ne comprend pas le mécanisme au début. Elle pose à son petit ami la question de l'attirance homosexuelle chez les hommes, elle ne sait à qui se confier. Elle tombe, elle tombe amoureuse, marche après marche. Elle devient dépendante. Mais Carol l'est tout autant. C'est cette histoire, éditée en 1952 et écrite par Patricia Highsmith sous un pseudonyme, qui emporte le spectateur, au-delà de la beauté des interprètes.
Carol est un grand film.
Les commentaires récents